Sa vie

Itinéraire du peintre

«  L’art c’est le chemin le plus court de l’homme à l’homme » (André Malraux)

Kawun par Rezvani, dessin -1950-
Kawun par Rezvani 1950

Ivan KAWUN naît en 1925 à Reims  de parents ukrainiens. Son enfance se déroule à Troyes, son adolescence à Paris. Saint-Germain-des-Prés est le théâtre de l’exubérance et des facéties de ses 20 ans, il en devient une des figures marquantes. Il suit les cours de I’Ecole des Beaux Arts, ainsi que ceux de la Grande Chaumière à Montparnasse, et décore en 1950, avec son ami Jacques Lanzmann, le célèbre Tabou, où résonne la « trompinette » de Boris Vian.

Entouré de ses complices de vie et de peinture, Arnal, Ascain, Busse, Dmitrienko, Gauthier, Gillet, Lanzmann, Lartigue, Nallard, Rezvani, il prend part avec enthousiasme au débat polémique entre abstraction lyrique et abstraction géométrique.

« S’ils renoncent à la perspective, à l’illusionnisme, avec l’abandon d’une figuration rejetée comme obsolète, tous revendiquent une prise avec le réel, entretiennent avec celui-ci des correspondances, trouvent des équivalences plastiques, des accords profonds avec la nature. Kawun ne rompra jamais avec elle. » (1)

En 1949 I’exposition de groupe « les Mains éblouies » à la galerie Maeght marque le début de son parcours artistique. En 1951, 1952, 1953, il participe à la galerie Mai à une série d’expositions intitulée « Le Mur vivant » ; en 1952 et 1953 il présente des œuvres au Salon d’Octobre fondé par Charles Estienne ; en 1956 il expose à la galerie La Roue, en 1961 à la galerie Weiller.

Depuis 1953 il est installé sur les terres familiales de son épouse Denise, à Montchanson dans les Monts du Cantal.

« Quitter Paris n’implique pas de renoncer à sa vocation, c’est renouer avec l’immensité des espaces silencieux, la profondeur illimitée de la contemplation, la puissance des forces telluriques, l’énergie physique et morale du corps humain enraciné dans ses valeurs originelles. La peinture est un chemin qu’il suit avec une passion inflexible. » (2)

Sans titre huile/toile 1957 65 x 54 cm
Sans titre huile/toile 1957
65 x 54 cm
La cascade huile/toile 1963 92 x 73 cm
La cascade huile/toile 1963
92 x 73 cm

Après les hivers 1960 et 1961 passés avec Denise chez leur ami Pierre Dmitrienko dans l’Oise, Kawun dévoile en 1963 à la galerie La Roue ses «Auvergne». Cette série, avec les «Carrières» et «Rothois», résulte de son dialogue avec l’espace et la nature.

« Cet ensemble constitue une sorte de poème minéral. Une certaine étrangeté, observée dans les formes peintes, ne s’explique que par les mouvements tectoniques que décrypte Kawun, dans les plissements hercyniens, dans les vallées, dans ces reliefs surpris au cours de leur évolution géologique. Comme elle lui parle, cette nature originelle… » (3)

En 1965 une nouvelle série, les « Onomatopées », semble jaillir de l’« Orage » et campe une écriture marquée par la couleur, la construction de l’espace en plans et surfaces cernées, les signes iconiques et graffitis ; elle se révèle à son apogée lors d’une exposition en 1968, toujours à la galerie La Roue.

Entre 1972 et 1975 les formes se muent peu à peu en figures sur des papiers de grand format peints avec une technique adaptée d’une recette de Victor Brauner ; naissent les «Composition», «Odalisque» et «Histoire de Dame».

« Au fond, Kawun opère un renversement contraire au chemin habituel de ses prédécesseurs qui se libéraient avec I’art abstrait de toute référence et contrainte : il se libère lui, au contraire, des aléas d’une libre spontanéité et se réapproprie les formes, en apparence familières, du domaine de la figuration et recrée un monde pictural dont les formes ont des places assignées. C’est dans les années 72-75 qu’apparaissent les grands bouleversements de son répertoire, qui donneront lieu à ces œuvres immenses où il s’approprie alors des références de l’art du quattrocento… . » (4)

Onomatopées huile/toile 1965 130 x 97 cm
Onomatopées huile/toile 1965
130 x 97 cm
Onomatopées 1971 huile / toile 162 x 130 cm
Onomatopées 1971
huile/toile
162 x 130 cm
Le Grand Russe huile/toile 1982 200 x 200 cm
Le Grand Russe huile/toile 1982
200 x 200 cm
Une certaine Venise huile/toile 1988 200 x 200 cm
Une certaine Venise 1988 huile/toile
200 x 200 cm
Voyage en Italie 1991 huile/toile 150 cm de diamètre
Voyage en Italie 1991 huile/toile
150 cm de diamètre
Conte Ukrainien huile/toile 1993 150 x 150 cm
Conte Ukrainien huile/toile 1993
150 x 150 cm

Kawun poursuit le voyage jusqu’aux rives d’une Venise imaginaire qu’il peint dès 1983 sous le titre « Voyage en Italie », avant de s’y rendre en mai 1986.

« Ouvrant les perspectives de sa propre histoire et soufflant à son esprit le récit de ses origines, la rencontre de Kawun avec Venise oriente désormais son combat. La lutte devient joie, vitalité, ivresse conquérante. Du haut de sa retraite, il porte le regard au loin, réceptif à cette bourrasque de I’histoire et à ce déferlement de lumière venus de la lagune. Quelle furie triomphante dans la possession de ces espaces chavirés, où la volute baroque brasse la matière domptée ! La conquête est immense et la création du monde lui appartient. Car Venise est le révélateur de souvenirs ignorés. Tandis que mer et ciel fondus dans I’infini décuplent sa soif d’espace, les géants, Tintoret, Véronèse, montrent la voie des mythes transcendés. Derrière Saint-Marc se profilent Byzance et les ors de l’iconostase. Et sur ces rives où s’entrechoquèrent les armes turques Kawun embarque vers la terre ancestrale et amoncelle les coupoles, dans le bonheur de renouer avec la poésie de son enfance, que la voix maternelle a parée de songes merveilleux. » (5)

Les « Bataille », « Une certaine Venise », « Voyage en Italie », « II combattimento », se succèdent, ainsi que les expositions personnelles : galerie Arnoux (Paris-1987-), galerie Le Ver vert (Vichy-1988-1993-), galerie 17 (Clermont Ferrand-1989-1992-1994-), galerie d’art contemporain AMAC (Chamalières-1990-), Collègiale Saint Pierre le Puellier (Orléans-1991-), galerie Kara (Genève-1993-), galerie Bernard Trocmez (Clermont Ferrand-1999-). En 1995 le Musée d’Art de la Ville d’Aurillac expose « 45 ans de peinture » de Kawun.

Dans les années 90 Kawun restitue le souvenir d’un séjour chez son ami Roger Edgar Gillet à travers les   « Bretagne ». Sa fascination pour Eugène Delacroix est sous-jacente dans la série « La Chasse au Snark ».   Il prolonge son voyage au-delà de la lagune de Venise avec les « Orientales » et les « Contes et légendes d’Ukraine ».

Ivan Kawun décède en 2001 à Montchanson sur sa terre d’adoption.

Dès 2002 « Les Amis de Kawun » se regroupent au sein d’une association vouée à perpétuer le souvenir de l’homme et promouvoir son œuvre. De nombreux hommages posthumes sont rendus au peintre, notamment par la galerie d’art contemporain AMAC de Chamalières (2002), la galerie Bertrand Trocmez de Clermont Ferrand (2003), le Centre culturel d’Issoire (2003), le Musée d’Art de la Ville d’Aurillac (2003), le 57ème Salon des Réalités Nouvelles de Paris (2003) et la galerie Etats d’Art de Paris (2006).

A l’initiative de l’Institut Français d’Ukraine, le Musée des Beaux Arts d’Ukraine à Kiev présente en avril 2006 une vaste rétrospective de son œuvre.

En octobre 2011 le Musée d’Ostrava en République Tchèque célèbre le dixième anniversaire de sa disparition, dans le cadre du vingtième anniversaire de l’Automne Français organisé par I’Alliance française.

Après la parution en avril 2006 d’une monographie de Kawun par Lydia Harambourg, Denise Kawun publie en novembre 2010 son « Journal de la vie absente », offrant un émouvant portrait de son époux.

« Cette aventure avec une toile, je ne peux la connaître qu’à son achèvement. En effet, ce que je veux faire, ce que j’aimerais faire et ce qui sera sont trois choses différentes. »… « La peinture se fait par épaisseurs, par juxtaposition. Elle peut se définir comme une accumulation qui s’étage, s’étoffe de regrets et de doutes. » Ivan Kawun (6)


(1) (2) (3) Lydia Harambourg, dans « Kawun » ed. Somogy -2006-

(4) Sylvie Sebillotte Clavel, dans le catalogue de I’exposition d’Ostrava, coorganisée par I’Alliance française et le Musée d’Ostrava -2011-

(5) Florence Vercier, dans le catalogue de I’exposition au Musée d’Art de la Ville d’Aurillac -1995-

(6) Ivan Kawun, propos recueillis par Michel Quétin lors d’une visite d’atelier et reproduits dans le catalogue de l’exposition à la galerie d’art contemporain AMAC de Chamalières -1990-

Regards sur l’homme

« Ce qui importe par dessus tout dans une œuvre d’art, c’est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir » (James Joyce)

Autoportrait huile/papier kraft marouflé 1999/2000
Autoportrait huile/papier kraft marouflé 1999/2000

Le regard de Jacques BUSSE :
Rideau pour Taps

Extrait de l’ hommage à KAWUN dans le catalogue du 57ème Salon des Réalités Nouvelles, Espace Auteuil, Paris -2003-

« Nous l’avons toujours appelé Taps.

C’est pas dans les dictionnaires, mais ça existe.

Onomatopée traditionnelle dans le monde du théâtre, substituée à la désignation d’un certain rideau de scène, dont la manipulation provoquait sans doute cette sorte de frappe sonore : « taps »…

D’où était-il sorti celui-là ? en tout cas, pas de chez nous; Russe, certes ! non, pire que Russe : Ukrainien ! Issu d’un pays méconnu (de nous), la légende ne requérait qu’à l’accompagner; il ne s’y refusait pas. Il fut question qu’il fût né dans le train, en traversant l’Allemagne. En fait c’était peut-être vrai, il fut déclaré à Reims – bien avant son sacre en tant que Taps – peut-être sur la voie de l’exil. Quelle qu’eût été la vérité ou la part de fiction du début, elle devait dépasser tout ce qu’avait pu imaginer le jeune fils d’immigrés. Je ne sais rien de son enfance, sinon qu’ayant à peine pris pied à Paris, il rebondit aussitôt, adopté dans cette mini-société germanopratine, spécialement apte à l’absorption de tout surgissement insolite, et il en était un… »

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Le regard de Marcel Moreau :
Il y a du paysan dans KAWUN, du paysan visité par le démon de la création

Extrait de textes de 1976, repris dans le catalogue de l’ exposition KAWUN, Espace Les Écuries, Aurillac -1995-

« … Vaste et froid atelier réchauffé par une fièvre d’homme. Tout y est soudain donné à voir comme par surabondance. Générosité contagieuse d’un tableau, puis d’un autre, brutalité d’un troisième mais enveloppante et en fin de compte caressante.
Ce rien de munificence qui éclate, ici et là, ou qui repose dans un coin, haletant, prêt à nous jeter ses fastes dans les jambes.
Il y a du souk, du bazar, du capharnaüm sous ce toit, il y a des gestes de montreur se corsant d’une théâtralité byzantine.
Il faudrait parler soudain d’une générosité des rythmes, de l’hospitalité de toute lumière.

Ce mouvement tournant et festoyant qui nous convie, sinon à la fête, du moins à ses préparatifs. Le festin n’est pas loin. Et l’ogre nous fait face, à visage presque découvert…
Mais nous ne serons pas mangés. Nous dévorerons avec lui la carne du temps … »

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