DISCOURS DE CLAUDE HAASER LORS DE L’ EXPOSITION D’ OSTRAVA

« Bonsoir Mesdames, Bonsoir Messieurs,
Si par enchantement Ivan KAWUN était des nôtres aujourd’hui, il aurait plissé les yeux, laissé filtrer un regard malicieux et… aurait bruyamment tapé dans ses mains ; c’était sa façon de manifester sa joie.
Il vous aurait remerciés, Monsieur le Premier Conseiller de l’Ambassade de France et Madame la Présidente de la Commission culturelle de la Mairie d’Ostrava, d’honorer de votre présence cette manifestation ; il vous aurait remerciés, Madame la Directrice et Monsieur le Conservateur du Musée, Madame la Présidente et Monsieur le Directeur de l’Alliance Française d’Ostrava, d’avoir co-organisé avec grand soin cette superbe exposition ; il vous aurait remerciés, Mesdames et Messieurs, de partager avec lui ces moments privilégiés.

Ma découverte de KAWUN remonte à 1982. De passage chez des collectionneurs parisiens, deux toiles en dépôt me sautèrent aux yeux ; l’une venait du Salon des Réalités Nouvelles auquel le peintre resta fidèle quasiment toute sa vie, l’autre de l’Espace Cardin.
Je priai immédiatement mes amis de téléphoner pour s’enquérir de la disponibilité et du prix de ces toiles.
Le soir même, l’une d’entre elles était accrochée à mon domicile.
Quelques mois plus tard, je contactai cette fois directement KAWUN en Auvergne, pour lui demander s’il était possible de visiter son atelier et s’il pouvait m’indiquer un hôtel à proximité pour héberger ma petite famille. A ma stupéfaction, Denise, son épouse, me répondit : « vous arrivez quand vous voulez, resterez le temps que vous voudrez et serez hébergés chez nous. »
C’est ainsi que, l’été venu, je fis la connaissance, à Montchanson dans les Monts du Cantal, de l’Homme de la démesure et de la femme de sa vie.

Tout d’abord la démesure dans l’exubérance.
Je me souviens d’un vernissage dans une importante galerie parisienne. Nous ne l’avions pas prévenu de notre passage. Quand il nous vit, il se précipita sur mon épouse, la prit dans ses bras, la souleva de terre, pivota sur lui-même tel un derviche tourneur et la reposa étourdie et à moitié suffocante.
Sa spontanéité, sa joie de vivre, son enthousiasme et sa truculence étaient tels, qu’au coeur du Paris d’après-guerre, Saint Germain des Prés le consacra comme une de ses figures marquantes, si bien qu’ en 1950, avec son ami Jacques Lanzmann, non encore écrivain, ni parolier de Jacques Dutronc, il y décora le célèbre Club Le Tabou, où résonnait le jazz des frères Vian, avec bien sûr Boris à la trompette.
Cette exubérance en trompe l’œil masquait sur le fond une grande pudeur.

La démesure également dans son attention et son ouverture aux autres.
KAWUN ne relevait pas de cette catégorie d’artistes otages de leur cheminement personnel et murés de certitudes.
Respectueux de l’héritage du passé et réceptif à son environnement pictural, il marquait avec curiosité, fraîcheur et sincérité, un réel intérêt pour toute démarche authentique et novatrice, sans pour autant dévier de sa propre trajectoire.
Personnellement je ne l’ai jamais entendu porter la moindre critique sur quel qu’artiste que ce soit et j’ai pu mesurer l’estime, la confiance et souvent l’amitié qui cimentaient ses innombrables relations.
Quel privilège de parcourir avec lui les allées de la Foire Internationale d’ Art Contemporain de Paris, d’y croiser tous les 20 mètres un de ses compagnons de vie et de peinture, de les entendre s’esclaffer à l’évocation de leur jeunesse et de les surprendre à réécrire l’histoire de la Nouvelle École de Paris, et ceci de plein droit, car c’était la leur.

La démesure encore dans sa convivialité.
Pendant près de 20 ans, et bien plus en dépit de son absence, nous primes, mon épouse, mes deux garçons et moi, le chemin de Montchanson, avec une impatience à son comble une fois parvenus à Garabit, puis dans les derniers lacets surplombant le viaduc de Gustave Eiffel; l’impatience de le voir avec Denise sur le pas de leur ferme, de le sentir nous enlacer avec ses tapes dans le dos à vous décoller les poumons, de boire un « James Joyce », ou plutôt un Jameson le whisky préféré de l’écrivain, de déguster une oie fumée ou une truite au lard arrosée d’un Bordeaux hors d’ âge et d’entamer la nuit dans son atelier où scintillaient ses « Venise » sur la musique de Monteverdi…
Pour nous c’était Byzance au quotidien, avec son lot de banquets, où KAWUN officiait toque de cuisinier sur la tête et taste-vin autour du cou, et avec son flot de rencontres avec Dubois, Doisneau et tant d’autres, qui formaient autour de lui, à Montchanson érigé en capitale, un cercle d’une richesse, d’une diversité et d’une fidélité exceptionnelles.

La démesure enfin et avant tout dans sa peinture.
KAWUN avait coutume de dire: « ce qui est figuratif, je le pousse vers l’abstraction, ce qui est abstrait, je l’amène vers la figuration », offrant ainsi au spectateur le privilège de devenir acteur de son œuvre.
A vous donc de sonder les profondeurs de son « Auvergne » d’adoption, de déchiffrer ses énigmatiques « compositions »et traduire ses « Onomatopées », de livrer vos propres « Batailles » et ourdir vos complots dans une « Venise » « Orientale » à l’élégance intemporelle, et de revisiter les « Contes et Légendes » de votre enfance.

KAWUN vous confie les clés de son art, à votre imagination d’en ouvrir l’étendue.
Mon fils cadet lui demanda un jour du haut de ses 3 ans: « mais tu as quel âge KAWUN ? » ;
« 150 ans ! » lui répondit-il. Au plus profond de nous et face à son œuvre, nous sommes nombreux à penser qu’il les dépassera largement.

Je vous souhaite, Mesdames et Messieurs, un beau voyage dans l’œuvre du grand peintre qu’est Ivan Kawun. »


Claude HAASER, président de l’association -LES AMIS DE KAWUN-
Discours lors du vernissage de l’exposition au musée d‘Ostrava – 13 octobre 2011-