Le regard de Lydia HARAMBOURG : Un aventurier

Dessin« L’œuvre est prolixe et généreuse, placée sous le signe de la métamorphose, seul recours formel pour exprimer ce que la peinture recèle en elle de vitalité féconde et de dynamisme inventif. Ivan Kawun est un aventurier. Parce qu’il renouvelle les propositions offertes par la réalité, questionne les avatars de la forme, débusque la signifiante magique et incantatoire de la couleur, convoque l’énergie primitive, il est devenu ce sourcier d’un univers intuitivement assimilé à celui qu’il a adopté en s’installant en Auvergne en 1953. Sa peinture est alors devenue ce champ où s’opère la transmutation de l’espace naturel en un espace plastique dans lequel les apparences du monde s’expriment à partir des rythmes profonds à l’unisson du lyrisme cosmique.

Avoir délaissé la capitale en proie aux plus ardentes polémiques esthétiques arbitrées entre autres par Charles Estienne, pour se soumettre à une interrogation quotidienne sur une possible issue poétique, relève d’une aventure prométhéenne.
II vit dès lors cet espace physique, confronté aux saisons, à la nuit mystérieuse ouverte sur le ciel comme à la lumière qui épouse le mouvement des choses naturelles, les modèle en épaisseur, dans le corps même de la matière picturale. Le propos de Kawun n’est pas de nous proposer une image policée, mais de cerner dans l’apparent chaos clos de la surface la poussée organique, de juguler les volumes extérieurs aussitôt mus en signes, de piéger la luxuriance des couleurs, l’éveil de la clarté au point où, encore instable, elle frémit, captive entre le visible et l’invisible.

De toile en toile se précise chez Kawun, ce double cheminement de la pensée et de l’imaginaire. Le monde qui émerge alors est celui que seule la vérité de sa démarche picturale a pu rendre possible. Comment pourrait-il en être autrement, lui dont les visions fulgurantes nourrissent un langage enraciné dans l’héritage mémorial autant que dans l’expérience terrienne et pastorale. La réalité profonde, ferrée puis éprouvée dans les plans, les volumes, l’écriture, le trait, la couleur. Dès ses débuts la saveur plastique sert sa mythologie à la fois naturelle et fabuleuse. Une saveur qui en fait l’héritier le plus libre du Quattrocento.
Que n’a-t-il eu de grandes surfaces pour raconter en longues fresques ses récits flamboyants qui partent du Caucase pour rejoindre les plateaux du Gévaudan, en passant par Byzance et Venise. En toute connaissance d’un métier dont il maîtrise les complexes possibilités, il va franchir les étapes qui sont autant de conquêtes que d’interrogations reconduites: des peintures violemment labourées en larges coulées endiguées des années 50, aux « Carrières » (1960) marquées par un rythme élémentaire, puis aux toiles telluriques (1962-63) jusqu’à l’aboutissement d’une synthèse faussement désordonnée qui débouche sur une période marquée par des rapports lyriques et expressifs notamment dans les couleurs, alors que la composition tend davantage vers une poétique du langage (1965-1972).
Celui-ci ose alors, à partir de 1975, une incursion vers des réminiscences figurées. Entre le souvenir et l’absence se tissent des visions dont les fragments se teintent d’une mythologie sensuelle et véridique. Kawun en explore désormais les strates picturales et métaphoriques.

De la nuit vivante a jailli un royaume lumineux. D’un enchevêtrement coloré ardent naissent la précision et la plasticité de l’écriture et de la touche pour un harmonieux équilibre. En nous ouvrant les yeux sur ses palais nomades habités de fantômes pour de nouvelles fêtes picturales, Kawun réveille un monde poétique enseveli en nous. »


Lydia HARAMBOURG, historienne et critique d’art.
Hommage à Kawun, dans le catalogue commun des expositions au Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, au Centre culturel Nicolas Pomel d’Issoire, et à la Galerie Bertrand Trocmez de Clermont-Ferrand – 2003 –